ORPAILLAGE TRADITIONNEL AU BURKINA FASO : LA LOTERIE, 30 METRES SOUS TERRE

MANGA, BURKINA FASO, MAI 2019

 
 

Sur site

Il fait plus de 40 degrés en plein soleil. Les explosions sourdes de la dynamite rappellent qu’en-dessous, au fond des milliers de trous éparses qui jonchent le sol, c’est l’or que l’on vient chercher.

Actif depuis plus de 20 ans, le site d’Ariogo, près du village de Mongomdé, a connu un véritable essor à la suite de la délocalisation des activités douanières de la commune de Bittou à Cinkansé qui a poussé une partie de la jeunesse, laissée alors sans emploi, à s’intéresser à l’orpaillage traditionnel.

Même s’il reste difficile d’avoir des estimations fiables, à en croire le premier responsable du site, c’est aujourd’hui près de 5000 personnes qui y travaillent chaque jour. Les orpailleurs viennent de tout le pays, voire de la sous-région pour travailler sur les sites. Ils viennent en fonction des opportunités, restent quelques mois et repartent vers d’autres sites. D’autres s’installent en famille, une génération suivant la précédente.

L’organisation est hiérarchisée. En haut le propriétaire du trou, en bas, les autres, qui travaillent ensemble et intervertissent les rôles. Au milieu, un homme de confiance, qui supervise en l’absence du propriétaire.

 
 

Jusqu’à 15 personnes peuvent entourer un trou actif. Chacun a un rôle bien défini. Il y a ceux qui descendent et qu’on ne voit que rarement. Ils cassent la roche et en remplissent des bidons de fortune constamment tractés à la main jusqu’à la surface par 4 hommes. Le bidon sera tiré par une cinquième personne qui sera vidé sur le sol, avant d’être renvoyé en bas, encore et encore.

Autour du tas, les autres s’activent. Les enfants prépareront le haricot, seul aliment qu’ils avaleront pendant la journée.

Les cailloux sont pris en gros. Il est difficile de deviner la présence de l’or dans la pierre. Il faudra casser et casser encore, jusqu’à en faire une fine poussière, pour extraire le précieux métal. Un processus qui prendra près de trois mois et dont l’issue incertaine est presque entièrement basée sur la chance.

Dabré Mamoudou nous explique : « Tu peux creuser un an et rien trouver. Pour survivre, on se débrouille ». Le voisin, lui, peut creuser à 5 mètres de là et devenir millionnaire. Il est arrivé sur le site en 2002. Quelques années plus tard, il avait pu économiser suffisamment pour s’acheter son propre trou. Depuis 10 ans, c’est plus de 40 trous qu’il a exploré, toujours en famille.

 
 

Kaboré Aroun, aussi propriétaire de trou, a un parcours similaire. Orphelin à 12 ans, il s’est lancé dans les activités d’orpaillage à 17 ans pour se débrouiller seul. Près de 20 ans plus tard, il est un véritable chef d’entreprise. Il se présente comme le papa du groupe. Parmi la quinzaine de personnes qui travaille pour lui, il y a des cousins, des frères et même ses enfants qui viennent quand ils n’ont pas école. L’orpaillage est une affaire de famille. Il prendra en charge l’achat des outils, de la nourriture, veillera à la bonne santé de chacun mais pourra également chercher une compagne pour celui qui souhaitera se marier.

Pour Kaboré comme pour Dabré, l’avenir de leurs enfants ne se joue pourtant pas dans les mines. Ils souhaitent qu’après l’école ils puissent rentrer dans l’administration. La vie dans les mines est trop dure : « L’orpaillage c’est très dur et tu peux ne rien gagner », nous dit Kaboré, à qui il est arrivé de ne pas manger pendant une semaine pendant la fermeture du site en période d’hivernage.

Au cours de sa carrière, des 6 trous qu’il a explorés, seuls deux ont sorti de quoi lui permettre de vivre. Malgré cela, il ne souhaite pas travailler pour les grandes compagnies minières dont le salaire peut atteindre 500 000 FCFA.

Son trou actuel lui rapporte 12 millions par an. Un montant qu’il divisera par deux, entre lui et son équipe. A la revente, un trou qui rapporte peut valoir jusqu’à 20 millions. Un chiffre à mettre en perspective avec un investissement de base quasi nul. Libre à n’importe qui, s’il obtient l’autorisation du responsable de site, de commencer à creuser la terre.

 
 

Sur le comptoir :

 

Le comptoir ressemble à une petite ville dont les occupations gravitent toutes autour du concassage et du lavage. Magasins de vêtements, alimentations, bijouteries, maquis et autres boucheries ont fleuris sur le site. On entend partout les marteaux des femmes qui cassent la pierre à la main. Plus loin, des hangars de fortune disparaissent sous une épaisse couche de poussière. On y distingue des silhouettes qui alimentent les pilons mécaniques avec toujours plus de cailloux.

La poussière qui en résulte sera lavée avec de l’eau sur des planches inclinées. L’or doit être attrapé par les tapis qui tapissent le bois des planches. L’eau chargée sera récupérée et mélangée avec du cyanure qui emprisonnera l’or, avant d’être relâché dans la nature.

Le site minier est une catastrophe environnementale en puissance. Sans aucun traitement, la pollution se retrouve dans les plantations qui serviront à nourrir les animaux. Selon le Secrétaire général de la commune de Bittou, les sensibilisations menées par la commune restent sans réponse auprès des populations locales.

 
 

La question environnementale fait partie d’un ensemble de défis qui ont poussé les autorités à s’intéresser aux activités d’orpaillage. Selon le Secrétaire général de Bittou, le travail des enfants, au centre des préoccupations de la mairie, reste difficile à endiguer par manque de moyens malgré les sensibilisations. Une situation exacerbée par une difficile présence sur le terrain des autorités.

Avec l’expansion des activités sur le comptoir, la prostitution et la criminalité se sont développés. Amenée par sa sœur deux mois auparavant, une jeune travailleuse du sexe originaire du Togo témoigne des difficultés qu’elle peut rencontrer avec les orpailleurs. La drogue peut rendre les gens incontrôlables et violents.

Selon le Commissaire de police de Bittou, le tramadol, bien qu’illégal au Burkina Faso, est considéré comme un simple outil. Pour descendre à la simple lumière d’une torche au fond d’un trou pouvant atteindre 70 mètres de profondeur, les orpailleurs gonflent leur courage au tramadol qui permet de chasser la fatigue, de multiplier la force et surtout de faire taire les peurs.

 
 

Les produits prohibés viennent pour la plupart du Ghana ou du Nigéria. Il y a un trafic contre lequel il est difficile de lutter. La police est laissée à elle-même. Le commissariat de Bittou, qui compte 28 personnels, doit couvrir les 26 villages de la commune, dont le plus éloigné est à 75 kilomètres. Une situation rendue encore plus difficile avec la dégradation sécuritaire dans la zone.

Ne pouvant assurer une présence quotidienne, la police s’appuie sur l’organisation interne du site pour la sécurité. Un réseau d’orpailleurs, chargés de la sécurité par le responsable, servira d’informateur pour la police en les prévenant de tout mouvement inhabituel.

C’est grâce à cette organisation que les conflits ne surviennent que rarement. La relation entre les orpailleurs et la communauté locale d’éleveurs et d’agriculteurs reste bonne. Chacun se mélange en fonction des saisons, les uns travaillant à l’activité de l’autre. S’il arrive qu’un animal meurt en tombant dans un trou ou intoxiqué au cyanure, le plus souvent c’est un remboursement à l’amiable qui se fait, ne nécessitant pas l’intervention de la police.

 
 

Une situation vouée à disparaitre 

Malgré cette organisation et bonne entente, l’arrivée des grandes compagnies minières, en contrat direct avec le gouvernement, annonce la fin des activités d’orpaillage traditionnel sur le site. Pratiquant dans une informalité quasi-totale et sans presque aucune sécurité, les orpailleurs de l’Est du Burkina Faso sont voués à être mis au chômage.

 
 
 
 

GALLERIE

 
 
 
 

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